Cette lettre très personnelle m'a couté beaucoup de travail d'écriture, relecture, ré écricture, correction, etc ...
Si je la dévoile c'est qu'elle peut aider ceux qui pensent qu'on ne peut rien dire (ou écrire). on peut toujours.
 
Lettre à mon Père :
 


Préambule : Nous sommes le 23 Avril 1996 et Maman vient de téléphoner pour calmer mes ardeurs vis à vis de toi. Mémé fait des siennes. J'ai donc différer l'envoi de ma lettre qui tombe par hasard (ce n'est pas le moment qui compte mais le contenu) pour ton anniversaire.
 
Tu es fier de ton franc-parler que tu imagines, sans doute, être de la franchise. Je vais faire preuve de franchise sans chercher à te blesser. Sans colère, sans animosité‚ mais avec une distance sans cesse grandissante entre nous. Mon souhait n'est pas de l'augmenter mais de la faire disparaître.
 
Ta devise est "ça passe ou ça casse". Tu as raison, c'est ce qui va se passer.
 
Ma lettre n'a pas pour but de te changer mais de me vider d'un poids que je traine depuis trop longtemps. Si j'ai tardé à l'écrire depuis notre dernière venue, c'est dû au temps nécessaire à l'extinction de ma colère. J'ai attendu d'être calme et pondéré. Nous n'en sommes plus à des rapports de père à fils mais bien de père à père ou d'homme à homme. Je n'ai plus besoin de toi pour vivre bien que tu m'ais donné la vie. J'aime la vie, je t'en serais éternellement reconnaissant.
 
La seule relation, qui puisse exister entre nous, ne peut-être que le plaisir (valeurs familiales) dans la mesure ou nous n'avons mutuellement pas besoin de l'autre pour vivre (point de vue pécuniaire et matériel). Si le plaisir disparaissait, je continuerai ma vie vers l'avenir avec ma femme et mes enfants. Sans toi.
 
Jacqueline t'a écrit, j'y ai joins un mot. Tu as déchiré la lettre, ça n'efface pas pour autant son contenu. Tu n'es certainement pas non plus allé jusqu'au bout de sa lecture. Je m’en doutais, aussi j’avis  fait des photocopies et je t'en joins une. N'est pas une attitude de lâche. Mon père ne peut pas être lâche. Lis tout. Nous avons pris le temps de t'écrire, prends le temps de nous répondre. Envoies nous chier si tu veux, mais réponds. Un silence de ta part confirmerai l'idée que tu ne fais pas face aux problèmes dans lesquels il faut que tu te mouilles.
 
Ne crois pas non plus qu'en l'absence de réponse nous ne viendrons plus vous voir. Notre attitude sera distante vis à vis de toi, c’est tout.
 
Où sont tes amis ? Quand on veut tuer son chat, on dit qu'il a la rage. Ne me fait pas croire que c'est une volonté de ta part de vouloir être seul, c'est une conséquence de ton mauvais caractère.
Qui en plus n'est pas mauvais ! Tu le rends mauvais. Ce n'est pas dans ta nature. Combien il serait insupportable d'être aimable et seul !
 
A force de croire que tu as raté ta vie, tu vas y arriver pour de bon. Je te vois sombrer, tu as attrapé la "retraite" comme on attrape un virus. T'es pas malade.
 
Avec tout le respect sincère que je te dois, laisse moi te d’écrire des petits travers qui, s'ils font rire aux débuts, deviennent nettement tristouilles à la longue.
 
-*- Un petit calcul mathématique : A 100 centimes le KWh, à raison de 2 personnes (Jacqueline et moi) se lavant les mains 4 fois 2 minutes par jour et ce, 5 week end par an, en tenant compte d'une déperdition calorique épouvantable de 20% dans le tuyau alimentant en eau chaude la salle de bain, nous avons une perte en francs (par rapport à une utilisation dans la cuisine qui a un tuyau plus court) :
 
20% de (100ctes*2pers*4*2*10jrs)/60mn = 53 centimes.
 
Tu ne crois pas t'empoisonner la vie avec des détails aussi peu intéressants ? Je continuerai à me laver les mains à la salle de bain plutôt qu’à la cuisine bien que le tuyau soit plus long.
 
-*- J'ai 500 disques lasers, souvent en bordel. Je te signale qu'en principe, tout CD normalement fabriqué doit comporter et sur le CD et sur le coffret le même titre. Cela me permet de ranger chaque CD dans le boitier correspondant. Tu m'otes le plaisir de mettre un disque avec tes interventions maniaques. Tu coupes court à toutes initiatives spontanées. Venir, ne rien dire, ne rien déranger, aplanir les tensions : c'est fini. Tu es jeune et tu as des manies de vieux.
 
-*- Faut pas débrancher la bouilloire et la remplir au verre. Fais comme tu veux, ça ne me gène pas. Mais laisse moi l'utiliser à ma façon sans faire de réflexions. A perdre tant de temps dans le futile on en perd l'essentiel : être ensemble dans la joie.
 
-*- Simon a de petits bras et je ne pense pas qu'à 2 mètres des murs il puisse y mettre ses mains pleine de chocolat. Surtout assis sur les genoux (fort beaux) de sa mère qui le surveille. Au fait Jacqueline n'a pas 12 ans et tu peux lui parler comme à une adulte. Tu ne vois même pas qu'elle t'aime et qu'elle est en colère que tu te gaspilles.
 
-*- Quand je te demande, bien à toi, si je peux te laisser Simon pour la journée, ce n'est pas :
1°) pour m'en débarrasser
2°) pour t'entendre dire que de toute façon ça ne te dérange pas puisque tu t'en occuperas pas (surtout quand on te voit partir en promenade avec lui dès que nous avons le dos tourné).
Je te laisse Simon, parce qu'il est ma vie. Ta vie. Si je risque de ne plus avoir de père, j'attends néanmoins qu'il est un grand père. Pas un vieux schnock mais un papy rigolo qui lui fait découvrir le monde sous des aspects ludiques. Et non Front National (du reste, si les immigrés avaient été refoulé depuis longtemps je ne serais pas là à t'‚crire puisque tu n'aurais pas épousé une Espagnole)
 
-*- Je suis d'accord pour parler des fleurs et des oiseaux quand ce n'est pas pour masquer des débats que l'on veut éviter.
 
-*- Je suis gèné‚ de ne pas pouvoir inviter mes amis a rentrer te saluer quand ils viennent très exceptionnellement me chercher. Je veux être fier de mon père. Pas en avoir honte. D'ailleurs, il me parait naturel que ce soit à toi de les faire rentrer.
 
-*- Je voudrais pouvoir agir avec mon chien comme tu le faisais avec le tien. Là où tu rentrais, il te suivait, Pollux comme Mylord. De mémoire, cela n'a jamais créé de polémiques.
 
-*- Je souhaiterais ne plus te voir en situation de martyr avec le poids du monde sur tes épaules.
 
-*- Je souhaiterais ne plus te voir utiliser la télécommande de la TV comme un révolver pour nous signifier que nous te dérangeons.
 
-*- Je souhaiterais te voir plus "cool" aux niveaux des horaires. Tu as quitté le monde du travail pour être en vacances méritées. La ponctualité est une politesse qui ne doit pas être une contrainte.
 


-*- Je voudrais me doucher avant ou après manger, surtout quand l'envie m'en prend et même en utilisant mal ce putain de racloir à la con.
 
-*- Je voudrais, par goût, préférer être chez toi que dans mon camping car ou un gite à proximité.
 
-*- Je ne VEUX plus t'entendre faire la moindre allusion au suicide pour échapper à la vieillesse. C'est nul, douloureux et très con. C'est depuis ta retraite que tu te suicides lentement alors que d'autres savent y trouver une deuxième jeunesse.
 
-*- Je ne VEUX pas que tu me dises regretter qu'Isabelle soit née. En plus, c'est avec elle que je suis le plus proche. Pas d'avortement possible aprés 24 ans. Un bon enfant est pour toi un enfant qui ne pose pas de problèmes. Cela me rappelle une blague FN que tu dois aimer : Un bon arabe est un arabe mort.
 
-*- Je ne VEUX pas que tu critiques le choix que j'ai fait en mettant Simon au monde.
 
-*- Je ne suis pas le copain qui te manque pour lui dire ce genre de choses, je suis ton fils et tu dois être un exemple à suivre. Et non pas l'exemple de ce que je veux pas devenir.
 
-*- Je ne suis même pas content que maman me téléphone exceptionnellement pour nous dire que tu es gentil avec elle. Je préfèrerais qu'elle le fasse aussi rarement pour nous dire que tu es difficile à vivre, cela sous entendrait que le reste du temps tu ne l'es pas.
 
-*- Tu ne m'es pas indifférent.
 
-*- Je t'aime encore.
 
-*- Je suis capable de me passer de toi.
 
-*- J'attends une réponse, Jacqueline aussi. Elle peut ne pas être la même pour nous deux, seul compte que tu répondes.
 
-*- Je me suis fait du bien en t'écrivant cette lettre, je ne te souhaite aucun mal en la lisant.
 
Note que je ne parle que de toi et moi et qu'aucune allusion est faite sur mes frères et soeurs, belles soeurs et beaux frères et Maman. Mais je te rappelle une phrase qui résume bien la situation:
 
Fais ce que tu veux avec ta femme, mais ne fais pleurer ma mère.
 
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Note importante 12 ans plus tard
 
Ce texte est ici pour tout l’amour qu’il contient.
Et mon père ne s’y est pas trompé puisqu’il voulait répondre avec humour point par point et qu’il a en fait  tout résumé en une carte :
 
-Venez quand vous voulez.
 
Ce qui me semble le meilleur raccourci pour nous retrouver. Ce qui fut fait.
 
C’est aussi l’exemple de l’impossible possible. J’ai mis deux mois pour écrire tout ce que j’avais à dire, sans que cela soit un règlement de compte, une lettre méchante, hargneuse et détestable.  Cette lettre est la preuve que l’on peut toujours exprimer ce qui nous semble impossible.
Et franchement, je ne regrette pas du tout de l’avoir écrite à cette époque.
Je suis sur d’une chose entre mon père et moi : nous nous aimons.
 
édit 16 Juillet 2021 :
Mon père est décédé en Fevrier 2020, il n'aura pas connu le COVID 19 et c'est très bien ... ça l'aurait tué (humour noir, et alors !?).
S'il y a un au-dela, qu'il y soit en paix.
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